Portrait de Baudelaire par Carjat
Comme toutes les inventions et nouvelles initiatives, la photographie eut ses détracteurs parmi lesquels Charles Baudelaire, sujet de cet article.
Il fut un détracteur très caustique de la photographie, assimilée à un art. Pourtant il est l’ami de Carjat et de Nadar, il fréquente volontiers les studios de photographie pour se faire «tirer le portrait»… si on fait abstraction de ses provocations à l’égard de la photographie, on se rend compte que l’analyse qu’il en fait est plutôt prémonitoire.
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Et, il y eut ceux qui avaient des craintes irrationnelles à l’égard de cette nouvelle technologie. Ainsi Balzac « craignait (comme le mentionne Nadar dans ses mémoires) qu’à chaque prise de vue, une part de son âme soit captée par l’appareil photographique et finisse, à force de clichés par le laisser sans vie ».
Sur le portrait ci-contre, réalisé par Louis Auguste Bisson en 1842, Balzac prend soin de détourner son regard de l’appareil.
Honoré de Balzac en 1842
« Le public moderne et la photographie »
Ainsi s’intitule la lettre que Baudelaire adresse à Jean Morel, directeur de la revue française en 1859. Il révèle dans cette diatribe sa peur devant l’engouement du public pour une « industrie » au détriment des arts. L’art est la recherche du beau, alors que la photographie est le constat du vrai :
« Un Dieu vengeur a exaucé les vœux de cette multitude. Daguerre fut son messie. Et alors elle se dit : “Puisque la photographie nous donne toutes les garanties désirables d’exactitude … l’art c’est la photographie”. À partir de ce moment, la société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal… »
« Comme l’industrie photographique était le refuge de tous les peintres manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études, cet universel engouement portait non seulement le caractère de l’aveuglement et de imbécillité, mais avait aussi la couleur d’une vengeance. »
Il définit ensuite ce qu’il considère être la vocation de la photographie :
» Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts… comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome… Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. »
Dans ces lignes, Baudelaire prévoit que la photographie « exagérera les animaux microscopiques », bien avant l’usage de la macro photographie et il envisage par ailleurs qu’elle réduira « la place des archives de notre mémoire ». Ce vœu se réalisera vraiment avec l’archivage numérique … 150 ans plus tard !
Baudelaire – Nadar
Si Nadar, est attiré par toutes les formes de progrès, (photographie, aérostation) Baudelaire les décrie. Mais ils se sont connus au temps de la bohème, bien avant que Nadar ne s’intéresse à la photographie. Et ils sont restés amis. L’approche de Nadar pour la réalisation de ses portraits (sans mise en scène, sans fioriture, mise en confiance du sujet) devait convenir à Baudelaire. En 1865 l’écrivain disait à sa mère, dans une lettre, qu’il aimerait avoir un portrait d’elle. Il lui conseillait un photographe du Havre , car la plupart des photographes « prennent pour une bonne image une image où toutes les verrues, toutes les rides, tous les défauts, toutes les trivialités du visage sont rendus très visibles, très exagérés », il voulait de sa mère « un portrait exact mais ayant le flou du dessin ». On pense aux photos de Baudelaire réalisées par Nadar en 1854 qui correspondent à ces critères…
En 1855 Baudelaire dédicace à son ami Nadar, l’avant dernier poème des Fleurs du mal, inspiré par une séance de prises de vue.
» Le rêve d’un curieux
Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire : « Oh ! l’homme singulier ! »
— J’allais mourir. C’était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d’horreur, un mal particulier ;
Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
Tout mon cœur s’arrachait au monde familier.
J’étais comme l’enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle…
Enfin la vérité froide se révéla :
J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M’enveloppait. — Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ?
La toile était levée et j’attendais encore.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, »
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J’aime bien l’angle que vous prennez pour aborder votre intéret pour la photographie. Ici, on peut voir que certaines inventions et surtout les plus magiques, révèlent parfois des peurs et des comportements ambiguës.